ASSA TRAORE : ÉDUCATRICE, MILITANTE, ENTREPRENEUSE, CONFÉRENCIÈRE

Safiatou La perle noire
Safiatou La perle noire

« La voix indomptable de la justice pour son frère Adama »
Assa Traoré est devenue en moins d’une décennie l’un des visages les plus puissants du combat pour la justice et l’égalité en France. Propulsée dans l’arène publique après la mort brutale de son frère Adama en 2016, elle a transformé la douleur intime en une force collective, imposant des sujets longtemps ignorés dans le débat national. Mais son parcours ne se résume pas à un drame car, c’est l’histoire d’une femme debout, qui a choisi de se battre pour tous les autres.

LE 19 JUILLET 2016, TOUT BASCULE
Ce devait être une journée d’anniversaire. Le 19 juillet 2016, Adama Traoré fête ses 24 ans. Mais il ne soufflera jamais ses bougies. Ce jour-là, il meurt à Beaumont-sur-Oise, aux mains des gendarmes. Sa sœur Assa se souvient : « Il a poussé ses derniers souffles entre les mains de ceux censés le protéger.» La violence de ce jour-là ne dévaste pas seulement une famille. Elle enclenche un séisme national. Assa Traoré, éducatrice spécialisée à Sarcelles, quitte
aussitôt son poste. Une autre vie commence. Celle d’un combat pour la vérité, la justice et la mémoire. Avant d’être militante, Assa est une travailleuse sociale. Elle a choisi le terrain très tôt, animée par le besoin de se rendre utile. À Sarcelles, elle intervient en prévention spécialisée. Elle accompagne les jeunes, les familles, les parcours fragilisés.
« Ce travail m’a appris à écouter, à voir l’histoire derrière la souffrance, à croire qu’il y a toujours un potentiel à révéler. » Une formation de l’humaine qui, sans le savoir, allait l’armer pour les combats à venir. Quelques semaines après la mort de son frère, elle cofonde avec ses proches le Comité Adama. Rapidement, les manifestations s’enchaînent, les prises de parole se multiplient. La voix d’Assa émerge, ferme, calme, déterminée. Ce qui était un drame personnel devient une cause nationale. « Mon frère n’était pas un symbole. Il était un garçon, avec une vie, des rêves, une famille. On a voulu enterrer son histoire. Nous avons décidé de la faire vivre. »

UNE FIGURE PUBLIQUE, DES ENGAGEMENTS MULTIPLES
En quelques années, Assa Traoré devient l’une des voix les plus fortes contre les violences policières et le racisme systémique en France. Mais elle ne se limite pas à la dénonciation. Elle construit, transmet, agit. Aujourd’hui consultante, formatrice, conférencière, elle intervient dans les entreprises, les écoles, les universités, les prisons. Elle aborde les discriminations systémiques, les droits des femmes, l’égalité. Elle développe aussi des projets culturels, artistiques et éducatifs, dont l’école Génération Leader, pour former de nouvelles générations conscientes et engagées. L’affaire Adama Traoré, elle, continue. Huit ans après les faits, le dossier est en pourvoi devant la Cour de cassation. Mais une avancée cruciale a été obtenue :en 2024, le parquet reconnaît que les violences commises par les trois gendarmes ont provoqué la mort d’Adama. Une reconnaissance tardive, mais décisive. « Il a fallu huit ans pour écarter les expertises médicales mensongères. Huit ans pour que la justice accepte enfin de regarder la vérité en face. Ce n’est pas la fin. C’est le début d’un autre chapitre. »

UNE PRISE DE CONSCIENCE, MAIS UN SYSTÈME INCHANGÉ
Depuis 2016, les lignes ont bougé. Le nom d’Adama est devenu un symbole. Des collectifs émergent, des familles se lèvent, la société civile s’éveille. « Ce que nous avons crié dans les rues est aujourd’hui visible. On ne peut plus faire comme si ces violences n’existaient pas. » Mais cette reconnaissance sociale ne s’accompagne pas encore d’une justice à la hauteur. « Tant que les policiers responsables restent protégés, tant que les familles n’obtiennent ni procès ni réparation, alors non, il n’y a pas de justice. » Le cœur du blocage, selon Assa, est structurel. Il est ancré dans le refus de la France d’assumer son histoire coloniale, son racisme institutionnel, et les inégalités persistantes. « Tant que ce racisme ne sera pas reconnu, combattu, assumé, les pratiques ne changeront pas. »
Dans l’affaire Traoré, les contradictions entre expertises, la protection institutionnelle des gendarmes mis en cause, illustrent ce qu’elle nomme « l’impunité d’un système qui se referme sur lui-même ».

TRANSMETTRE LA FORCE D’UN “NOUS”
Assa Traoré n’est pas une héroïne solitaire. Elle parle toujours au pluriel. Le « nous » familial, d’abord. « Mon père nous a appris à être une famille forte, unie, debout. » Le « nous » collectif, ensuite. Celui de toutes les victimes invisibles, celui des quartiers, celui des oubliés de la République. Elle écrit, elle forme, elle élève les consciences. Mais elle reste fidèle à ce point de départ : « Moi, je ne suis rien d’autre que ce que j’ai toujours été : la sœur d’Adama. C’est à partir de là que tout a commencé. » À la tribune comme sur le terrain, Assa Traoré porte une parole claire, exigeante, tenace. Une parole qui bouscule, mais ne dérape jamais. Une parole qui refuse d’abandonner la vérité, même dans l’épuisement. « Ce combat est collectif. La justice, la vraie, ne se négocie pas. Elle se conquiert, ensemble. » Et Assa, toujours debout, nous rappelle qu’un nom peut devenir une force. Celui d’Adama, aujourd’hui, dit l’espoir, la résistance, et la dignité.

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NDEYE SAFIATOU LY SYLLA