Professeure titularisée en anglais, littératures d’Afrique et de sa diaspora, et de genre, Marame Guèye enseigne dans une université américaine. Elle a fait son parcours universitaire à la Faculté des Lettres et sciences humaines précisément au département d’anglais de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Elle y a obtenu une Licence en littérature africaine et une maitrise en littérature anglaise. Titulaire d’un doctorat en littérature comparée, avec des certificats en traduction et théorie féministe de l’université d’Etat de New-York à Binghamton, elle s’est installée aux USA.
Vous enseignez dans une université américaine, parlez-nous de votre vie d’universitaire ?
En effet, j’enseigne au département d’anglais d’East Carolina University qui est à Greenville, dans l’Est de la Caroline du Nord. J’enseigne des cours de littératures africaines, de genre, et des fois de compositions. Ma recherche est sur le féminisme, l’art verbal des femmes, le hip-hop, et l’immigration.
Vous êtes très engagée dans les problématiques féministes, comment définissez-vous votre féminisme ?
Mon féminisme est décolonial et intersectionnel. Cela veut dire que je suis consciente des legs de la colonisation française et de l’influence de la culture arabe sur le rôle de la femme ; que les femmes avaient une place importante dans nos sociétés, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de discrimination envers elle. Je sais aussi que les femmes sont hétérogènes, et que je ne peux pas parler pour toutes les femmes, mais je porterais toujours ma voix pour dénoncer les injustices envers les femmes. Mon féminisme n’est pas différent des combats pour une société démocrate, car toute démocratie doit tenir en compte des voix dissidentes qui servent de régulatrices vers une société juste et équitable.
Pour vous quels sont les combats les plus urgents et cruciaux pour les féministes africaines, sénégalaises en particulier ?
Je crois que les combats des féministes du Sénégal et ceux des féministes d’autre part est le même : démanteler le patriarcat et établir une société équitable pour tout le monde. Maintenant, la manière dont on s’en prend est différente et les contextes aussi différents. Au Sénégal, les violences conjugales et sexuelles tels que le viol, la pédophilie, l’inceste, me semblent beaucoup plus urgents car elles sont récurrentes, mais en même temps, toute forme d’injustice envers les femmes est une urgence pour les féministes car elle affecte des femmes réelles, et dans un temps réel. Les violences obstétricales aussi font des ravages. Donc, je peux dire qu’il est difficile et même impossible de prioriser les combats car elles sont souvent liées. Notre but est d’arrêter toute discrimination contre les femmes même si cette discrimination n’affecte qu’une seule femme.
« Nos habits ne sont pas des costumes que l’on porte à l’occasion de festivals … ».
Vous vivez aux USA mais vous semblez tenir à votre style vestimentaire très lié au continent. Qu’est ce qui explique ce besoin, si c’en est un bien sûr ?
Ce n’est pas un besoin de montrer que je suis africaine. Je n’ai pas besoin de m’habiller d’une certaine manière pour qu’on sache que je suis africaine. Mon africanité, je la vis dans tous les aspects de mon existence. Il se trouve que j’aime la mode et j’aime m’habiller à l’africaine aussi. C’est un challenge que je me suis faite ce semestre de ne m’habiller qu’à l’africaine quand j’enseigne. Pour moi, la manière dont nous nous présentons est importante, surtout quand on vit dans un pays comme les USA où il existe toujours des stéréotypes sur l’Afrique et les Africains. J’enseigne l’Afrique, donc la manière dont je m’habille fait partie de ma pédagogie. Je veux normaliser l’habit africain aux yeux de mes étudiants. Leur montrer que nos habits ne sont pas des costumes que l’on porte à l’occasion d’un festival. Que nos habits sont chics et peuvent être portés dans le milieu professionnel. C’est aussi un message pour les Africains qui ne veulent pas porter leurs tenues africaines (et africain) car peut être elles ont peur d’apparaitre particuliers. Aussi, je ne porte pas que mes habits africains, car si nous avons su faire quelque chose de la colonisation, c’est d’avoir su créer une culture vestimentaire riche en faisant une fusion de nos différentes influences socio-culturelles aussi bien locales qu’étrangères.
Pensez-vous que le cinéma, la littérature, l’art en général peuvent aider à mieux faire découvrir, faire comprendre ou aimer le continent africain ?
Bien sûr ! La grande écrivaine américaine Toni Morrison a dit que le livre de Boubacar Boris Diop « Murambi : Le Livre des ossements, vérifie ma conviction que l’art seul peut traiter les conséquences de la destruction humaine et traduire ces conséquences en quelque chose de compréhensif ». A travers l’art, tout est possible. Je ne crois pas qu’on a besoin de nous soucier de qui nous aime ou non. Ce qui est important est qu’on arrive à porter nos histoires, nos expériences en tant qu’Africains qui vivront dans un monde où certains se sont donnés l’autorisation de parler pour nous. Donc, comme disait l’écrivain nigériane Chimamanda Adichie, « il nous faut une multitude de récits » et de perspectives.
Zahra Ndiaye