Souleymane Faye le philosophe

dorine
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Une chronique de Mohamed Sow

Une vieille définition du mot « artiste » dit que c’est une « Personne dont le mode de vie
s’écarte délibérément de celui de la bourgeoisie ; non-conformiste, marginal. »
Souleymane, Jules ou Diego, est tout cela en plus d’être un poète hors pair. Il sculpte, taille et polit les mots.


• Zorro
Souleymane Faye est né à Dakar en 1951, issu d’une famille originaire de la région de Diourbel. Il grandit à l’avenue Gambetta (aujourd’hui avenue Lamine Guèye), éduqué selon les canons ruraux par sa maman et son beau-père, Cheikh Wade, Jules ayant perdu son père à l’âge de 2 ans. Puis, conformément à la tradition seereer, c’est son oncle maternel qui prendra le relais et le forme au métier de la menuiserie, quand il a arrêté les études académiques après l’obtention de son Certificat d’Etudes Primaires. Souleymane vit une adolescence tranquille entre son activité de menuisier et le chant auquel il s’adonne en parfait amateur. Ses amis l’appellent Diego, surnom qu’il s’est choisi en référence à Zorro, le justicier. C’est un curieux de la vie, très éveillé qui aspire à découvrir et comprendre le monde qui l’entoure.

Ses idoles musicales sont James Brown, Otis Redding, Jacques Brel et autres géants de la musique. Et c’est quand il a 19 ans que Souleymane entreprend d’apprendre sérieusement la musique. Pour ce faire, il s’installe dans la ville de Rufisque où il est couvé par Elias Bana, le manager de l’orchestre Tefes. Au delà de l’orchestre Tefes, Jules côtoie la fine fleur rufisquoise, le salsero Pape Fall etautres Mar Seck, futur membre du Star Band notamment. Mais la musique ne nourrit pas son homme. Encore moins dans les années 70 où seules les grandes stars de la musique vivent de leur art.


• Jules
Il va alors tenter l’émigration, sillonnant la France, l’Espagne et l’Italie dès 1975. Il restera 7 ans en Europe et rentre donc en 1982 dans des conditions très difficiles. Concrètement, il revient sans un sou en poche. Une situation presque intenable pour qui connait la situation sociale au Sénégal. Il finit par trouver refuge au Novotel où il est embauché comme lead-vocal de l’orchestre résident. Il y interprète des morceaux du répertoire populaire français et américain. De la variété internationale. Et c’est là que son immense talent vocal sera découvert et mis en lumière par Prosper Niang, batteur et leader du XALAM. C’est Robert Lahoud qui met Prosper sur le chemin de Jules en 1985. En effet, Prosper, qui était à la recherche d’un chanteur pour apporter du sang neuf au Xalam, s’en était ouvert à Robert Lahoud, qui lui parla de Diégo , un excellent chanteur qui sévissait au Novotel.
Prosper alla lui-même constater et ce qu’il entendit ce soir-là dépassa toutes ses espérances, au point de lâcher : « je viens d’écouter un des meilleurs chanteurs du monde ». Ce que Prosper ignorait, c’est que ce coup de foudre artistique était réciproque, car Souleymane était un immense fan du Xalam. Et c’est tout naturellement que Prosper, avec l’accord de ses partenaires, l’intégra à la formation qui était installée en France depuis le début des années 80.

Au-delà de ses talents de chanteur, il y a le parolier extraordinaire. Souleymane s’appuie sur son expérience, ses observations, joue avec les mots et en fait des textes inoubliables. Il raconte, chante, le quotidien des sénégalais avec une précision inégalée.
Le décès de Prosper Niang en avril 1988 mettra un coup de frein brutal à la collaboration entre Souleymane Faye et le Xalam dont les rapports étaient déjà plus ou moins tendus. Souleymane se plait d’ailleurs à raconter que lors d’une de ces prises de tête, il avait claqué la porte du groupe au Canada et avait rejoint New-York à pied en plein hiver. En réalité, Jules n’a jamais vraiment été un membre à part entière de l’orchestre. C’était un sideman que Prosper protégeait et imposait. Ce dernier n’étant plus là, Souleymane ne voyait plus de raison de demeurer au Xalam.
Cependant, ce passage d’un peu moins de 3 ans lui aura au moins apporté la notoriété. Le grand public savait désormais qui était Souleymane et il pouvait dès lors voler de ses propres ailes. Malgré les offres alléchantes qu’il reçoit en Europe, Jules décide de se réinstaller définitivement au Sénégal, car, explique-t-il, aucune richesse ne saurait compenser l’absence du père qu’il était pour ses enfants.
Sa première collaboration post-Xalam en 1988 passe quelque peu inaperçue. Et pourtant, c’est un opus truffé de belles chansons réalisé par Habib Faye. L’album intitulé « Fukki Junni » est enregistré au Studio 2000 d’Elhadj Ndiaye dans la seconde moitié de l’année 1988.

• Souleymane
Le premier succès individuel de Souleymane arrive en 1990 quand il entame une riche collaboration avec Robert Lahoud. Ce dernier qui travaille aussi avec Cheikh Lo et Coumba Gawlo Seck à l’époque met son talent de réalisateur musical au service de la voix et des textes de Diego. Naîtront donc deux albums en l’espace de quelques mois. Opus qui vont mélanger divers styles de musique : soul, jazz, rock, le tout saupoudré d’une pincée de style africain.
Dans le premier album, les 6 titres sont de très grande qualité. Et deux d’entre eux deviendront des standards : Yëgulooma et Teeyluleen. Ce morceau qui a aujourd’hui 30 ans se conjugue encore aujourd’hui au présent. Ce premier succès sera suivi d’un deuxième dans l’album intitulé SOGUI. Le titre éponyme est sans doute la chanson la plus intime de Souleymane Faye. Sogui, c’est l’histoire de cet ami, unique ami, trop tôt parti. Un départ éternel qui fera prendre conscience à Jules de ce qu’est réellement la mort. Outre Sogui, il y a l’excellent « Abdou Guèye » où, par cette façon unique de mettre en scène les choses, Jules fustige la paresse et le manque de volonté qui habitent certains sénégalais.


Nous sommes en 1991, et Jules va enchaîner avec une seconde production dans la même année : « Français Débrouillé ». Il se sert de sa connaissance parfaite du français et du wolof pour offrir un chef d’œuvre plein de dérision. C’est ça aussi Souleymane Faye : un grand sens de l’humour dont il se sert pour véhiculer des messages. L’opus suivant est de la même veine humoristique. Rien que le titre, Pain Boulette, fait sourire.
Et comme à son habitude, Jules se sert de son vécu, de ses pérégrinations, pour se raconter en chansons. Car, dit-il, quand tu chantes ce que tu vis, l’autre a l’impression que tu chantes pour lui.

Diego en tenue « loufoque »

Toutefois, la sortie de Pain Boulette crée un malentendu. Beaucoup ne perçoivent pas le génie de Souleymane et se plaisent à le décrire comme un fou à cause de ses tenues loufoques et ses prestations scéniques extravagantes. Suivront 3 années de silence musical qui nourriront encore plus les rumeurs. La réponse de
Souleymane sera le splendide opus Nit ki.

Dans le morceau éponyme, Diego étale une nouvelle fois sa science de l’écriture, dans un chef d’œuvre où il retrouve Robert Lahoud. Son discours est résolument humaniste et positif. Outre « Nit ki », il y a les excellentes compositions que sont Complexé, Yeene et le sublime Ndogal.
Et l’année suivante, Moussa Sène Absa, grand cinéaste sénégalais, commande à Madou Diabaté des chansons destinés à habiller son long-métrage Tableau Ferraille. Madou compose alors pour Souleymane Faye une chanson extraordinaire « Nee ko demna » qui sera une des chansons les plus populaires de Diego.
Puis, Souleymane, toujours aussi créatif et inspiré sort en 1997 un album en deux volumes : Grand Ass et Cangat. Son art de la rime et du bon mot est toujours intact. Le preuve avec le morceau Grand Ass, composé sur un tempo hi-life. Et puis il revisite avec grand talent le morceau Mariama qu’il rebaptise Caabi ji. Il réussit la prouesse de chanter en 4 langues où il dialogue de façon sublime avec le guitarsite Oumar
Sow.

En 2000, Jules collabore avec un des plus grands musiciens sénégalais, Lamine Faye, pour sortir Geew, un album essentiellement fait de reprises. La qualité de l’album est bien entendu de très haut niveau et l’opus se vend très bien, porté par l’excellent Meissa Bigué. L’album est produit par Ibrahima Sylla qui met à la disposition de Jules d’importants moyens. Le rythme des productions de Diego baisse avec la crise qui touche l’industrie de la musique. Ce n’est qu’en 2003 qu’il réapparaît dans une production où il partage l’affiche avec Coumba Gawlo Seck. L’album est bien accueilli par la critique, notamment le morceau phare Sey Dou Choix.

• Diego
Cette collaboration va marquer un tournant dans la carrière de Souleymane Faye. Il se tourne alors vers une musique plus acoustique, plus intimiste, plus à son image. Pour rencontrer son talent, il faudra désormais aller dans ces clubs de dimension modeste où Diego distille son génie. Souleymane a intégré ses enfants à son projet et devient une référence dans ce style afro-acoustique. Un concert de Diego ne ressemble jamais à un autre et il surprend toujours son auditoire, capable d’interrompre le cours d’une chanson par une blague et de reprendre le fil comme si de rien n’était.

En 2008, Souleymane participe à la reformation du Xalam, toujours comme sideman, voulant coûte que coûte préserver son indépendance. A la fin de cette même année 2008, paraît l’album Islamo-chrétien. Une production dans la droite ligne de l’évolution du style adopté par Diego. Ce sont pour la plupart des morceaux en live autour de la nécessaire cohésion inter-religieuse. En 2013, c’est son splendide titre « Jëleeti » qui porte l’album du collectif Henguilla d’Henri Guillabert. En une chanson, écrite quelques années auparavant, Souleymane prouve, si besoin était, que sa voix et ses textes ne subissent pas l’érosion du temps. Puis, en 2014 il enregistre avec Idrissa Diop, Cheikh Tidiane Tall et Dembel Diop un album de souvenirs musicaux traditionnels intitulé « DEMB AK TEY ».
Je finirai avec ces mots de mon ami Aboubacar Demba Cisokho : « En écoutant Souleymane Faye , on mesure aisément ce qu’il nous a apporté comme émotions et éléments de prise de conscience. Avec Teyluleen, Xarit, Jëleeti, Ndigël, Nittu tey, Sogui, entre autres créations, le musicien peint notre société, nous procure des émotions que nous n’avons pas la force ou le talent d’exprimer nous-mêmes, des histoires inspirantes.