une chronique de Mohamed SOW
Thione Ballago Seck voit le jour le 12 mars 1955 à Dakar. Après, Abdoulaye Nar Seck, c’est le deuxième fils de Nogaye Ngom et Cheikh Seck. Ce dernier est le fils d’Abdoulaye Ndiareme Seck dont on dit que le père était chanteur principal à la Cour du Damel du Cayor Lat Dior.
Au moment de se retirer de la vie publique, il reçut de Lat Dior en guise de compensation le
village de Marene dans le Cayor profond. C’est de là que vient le terme Faramarene.
L’enfance du Fara-Maareen
On peut penser que Thione a été naturellement poussé vers l’environnement musical à cause de cette ascendance, mais il n’en est rien. Son paternel, qui était adjudant de police, lui voyait un autre destin.
Pour tous les musiciens nés dans les années 40/50, la défiance face au milieu de la musique était immense. C’était un environnement très malsain, il est vrai et ceux qui s’y adonnaient étaient vus comme des marginaux. Mais, parallèlement à ses études, Thione fut vite happé par le milieu, se tenant néanmoins à
bonne distance des turpitudes qui étaient le lot commun des artistes. Il commence très tôt à chanter avec la troupe théâtrale de son école. Thione dira que « c’est lui-même qui composait les mélodies, les rythmes et les paroles dans les chansons des pièces de théâtre ». Il écume aussi les mbappat et autres kasag dans le quartier Fith Mith. Et il se prend d’amour pour la musique hindoue à travers les films indiens très populaires au
Sénégal. Thione était un habitué du cinéma AL-Hilal quand la famille Seck déménagea à Pikine.
• Abdoulaye Mboup, le mentor
Dès l’adolescence, à la fin des années 60, à 16 ans il décide de se lancer définitivement. Il fréquente l’orchestre de Bira Guèye où il passe quelques mois, quand Abdoulaye Mboup, une des vedettes de la musique traditionnelle fait irruption dans sa vie . La rencontre entre la star et son futur protégé a lieu en marge d’une grande Nuit de la Jeanne d’Arc de Dakar animée par l’ensemble lyrique de Sorano.
Pendant l’intermède du spectacle, Abdoulaye Socé, légende du xalam et homme d’une générosité infinie avait accepté de laisser Thione Seck et Doudou Seck Yaye Katy chanter. Impressionné par la voix du jeune Thione, Laye Mboup l’aborda sans hésiter et lui fit part de son admiration. Mieux, il lui promit alors de le prendre en main, ce que Thione voulait et redoutait à la fois du fait de la défiance de son père quant à son choix de percer dans la musique. Ni une, ni deux, Laye Mboup alla alors rendre visite à Cheikh Seck afin qu’il donnât son blanc-seing. Le père Seck, alors chargé de la sécurité du président de la Cour Suprême, Kéba
Mbaye, hésite, puis accepte de confier son fils à Laye Mboup. Laye Mboup l’amène donc au Star Band où il fait ses armes et commence par les percussions.
• Le Baobab
Un an plus tard, c’est encore Abdoulaye Mboup qui l’amène avec lui au Baobab en tant que remplaçant attitré. En effet, Laye qui était un des chanteurs principaux devait quelquefois aller en tournée avec l’Ensemble Lyrique Traditionnel de Sorano. Son idée était donc de se faire remplacer par Thione pendant ses absences. Ce qu’il fit avec grand talent dès 1973. Thione était alors surnommé par les autres musiciens du Baobab « le benjamin », parce que Mountage Koité, percussionniste et lui étaient de loin les plus jeunes
de l’orchestre. Une amitié indéfectible naîtra d’ailleurs de cette proximité générationnelle. Et quand, malheureusement, Laye Mboup mourut dans un accident de voiture en juin 1975, Thione devint son remplaçant naturel, lui qu’on désignait déjà comme le fils spirituel de Laye Mboup. Son talent vocal et son sens aigu de l’écriture en font rapidement une vedette parmi les vedettes.
• Retour aux sources
Cet immense succès lui donne l’idée de monter sa propre formation. Il est vrai qu’avec l’avènement de la musique qu’on appellera bientôt Mbalax et l’éclosion de groupes comme l’ETOILE puis le Super ETOILE DE Dakar, Thione sent le changement arriver. Ainsi, il va dans un premier temps, sans quitter officiellement le Baobab, aller vers la musique traditionnelle magnifiée par son mentor Laye Mboup. Nous sommes en 1979 et
Thione enregistre un album intitulé « Chauffeur Bi » sous le nom « Thione Seck et son ensemble » constitué en grande majorité de membres de sa famille, dont Mapenda Seck. C’est alors que survient un clash avec le Baobab dont les membres déploraient les absences de plus en plus fréquentes de Thione, qui, il est vrai, était désormais très sollicité grâce au succès de Chauffeur bi. Le Baobab devant se rendre à Paris envoya Attisso lui poser un ultimatum : Thione devait choisir entre le Baobab et son orchestre traditionnel. Sous 48 heures. Il choisit la seconde option et scella définitivement son départ.
• Création du Raam-Daan
Thione Seck est un homme très orgueilleux, épris de justice. Et Il sait, il sent que le parcours sera parsemé d’embûches, qu’elles soient réelles ou fantasmées. C’est au bout d’efforts énormes que nait le groupe Raam-Daan en 1983, un nom minutieusement choisi par Thione, qui reflète pleinement son état d’esprit. Raam signifiantramper et daan « vaincre ». Thione expliquera aussi qu’il avait été conforté dans son choix
par une coïncidence : le premier matériel de l’orchestre Raam Daan lui a été livré la veille du
mois de Ramadan 1983. Matériel d’une valeur de huit (8 millions) qu’il a réussit à acheter grâce à un prêt de la SONAGA, organisme prêteur et le soutien de son père qui a mit en gage sa maison.
Il décide d’emblée de faire du mbalax, et organise la formation originale du Raam-Daan autour de Daouda Gassama, transfuge du Super Etoile, de son petit frère Mapenda et de son ami Mountaga Koité entre autres.
Et dès le début, Thione se tourne vers le mbalax.
• Orientissimo
Comme dit précédemment, Thione a longtemps été amoureux de la musique orientale,
particulièrement la musique Indienne. D’ailleurs, le morceau Bamba, chanté au Baobab, est
une reprise d’une chanson du folklore indien. Ces rtyhmes résonnent en lui et après avoir repoussé l’échéance à plusieurs reprises, Ibrahima Sylla (producteur) lance la machine. Ainsi, pendant 4 ans, entre Dakar, Paris, Le Caire et Madras en Inde, Thione, assisté par François Bréant, cisèle son diamant. Il revisite les principales œuvres de sa carrière et l’exercice débouche sur un résultat absolument merveilleux. Orientissime paraît à l’international en 2005 et est acclamé par la critique. Thione a 50 ans et pour lui, c’est une seconde carrière qui s’ouvre à lui. Hélas, cet album sonne rétrospectivement comme un point final à l’œuvre gigantesque de Thione. Bien entendu, il continue de se produire en live, dans les boites où son public est toujours au rendez-vous. Il sort aussi des albums « mbalax » où les reprises encadrent de rares inédits, comme Diaga qu’il dédie à la femme de sa vie, Kiné Diouf, par exemple.
A partir de 2008, Thione laisse petit à petit les rênes du Raam-Daan à son fils Wally Ballago Seck, qui devient rapidement une des coqueluches de la jeunesse sénégalaise. Thione se retirant petit à petit de la scène musicale, est confronté des ennuis judiciaires très sérieux. Et le 14 mars, 2 jours après son 66ème anniversaire, Thione quitte ce monde, laissant derrière le souvenir d’un merveilleux passeur d’émotions. C’est le seul artiste, à mon avis, qui fait partie de deux clubs très fermés : celui des 5 légendes masculines avec Oumar Pène, Youssou N’Dour, Ismaël Lo et Baaba Maal et celui des plus grands paroliers, avec Ndiaga Mbaye et Souleymane Faye.