MAMADOU IBRA KANE: LE REPORTER DEVENU PDG !

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Actuel Directeur général du groupe E-Media INVEST, le journaliste Mamoudou Ibra Kane a fait du chemin. De Matam à Dakar, de la faculté de droit au Cesti, de la radio à la télé, du desk à la direction générale, le natif de Bokidiawé va là où le mène son destin.

MIK n’est plus à présenter dans le paysage médiatique du Sénégal. Cissé Kane pour les intimes, l’ancien directeur du Groupe Futurs Médias exerce toujours son métier de journaliste avec liberté et responsabilité…Entretien

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le métier de journaliste ?

La passion. Le journalisme me passionne. Après le baccalauréat, je suis allé à l’Université de Dakar pour faire Droit parce que j’avais un oncle (paix à son âme), Cissé Kane ancien magistrat pour qui j’avais beaucoup d’affection, énormément de respect, et qui était une référence. Une fois à la fac de Droit j’ai eu un diplôme d’études universitaires générales (DEUG) dans un contexte très difficile. D’abord nous sortions d’une année blanche, ensuite on a vécu l’année invalide. Du coup je n’ai pas pu aller plus loin que m’autorisait mon rêve. Après ce coup dur, j’ai décidé de passer le concours du Cesti, mon cœur ayant toujours valsé entre le droit et le journalisme. Autant j’ai eu quelques difficultés à la fac de droit, autant j’ai été plus chanceux au Cesti, puisque j’y suis entré major au concours et j’en suis sorti deuxième de ma promotion. Voilà donc comment je suis devenu aujourd’hui le journaliste qui exerce son métier avec passion, avec liberté, et responsabilité bien évidemment, parce que les deux sont toujours indissociables.

Selon vous, quel doit être le rôle du journaliste, dans un contexte où l’on pense qu’être journaliste c’est prendre part ?

Le journalisme c’est d’abord la sacralité des faits. Moins on verse dans le commentaire, dans la prise de position, mieux c’est. Le rôle du journaliste est d’informer juste et vrai, ce qui veut dire qu’il doit donner l’information en respectant les faits et en ne les dénaturant pas. Le journaliste doit rester honnête, parce qu’au fond on n’exige pas du journaliste de l’objectivité, mais plutôt de l’honnêteté. L’objectivité est quelque chose vers laquelle on tend sans peut être jamais y arriver. Donc s’il y’a une valeur, une règle fondamentale que le journaliste doit observer en tout lieu et en toute circonstance dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information c’est bien l’honnêteté. A cela s’ajoutent la sacralité des faits et le respect de l’éthique et de la déontologie.  Mais, une fois que les faits sont respectés, le commentaire reste libre. Le journaliste peut dès lors prendre position. Pour moi, il ne faut pas réduire le journalisme à la prise de position. C’est vrai que la neutralité, -je dirais ainsi-, n’est pas de ce monde. Le journalisme se caractérise par l’alignement des faits. Après s’ensuit au besoin la prise de position. Les faits sont têtus. Ils sont là. On ne peut pas les inventer ni les réinventer.

Quelle appréciation faites-vous de la nouvelle génération de journalistes, comparée à ceux de votre génération ?

Est-ce qu’il y a un nouveau journalisme ? Je ne le pense pas. Est-ce qu’il y a un ancien journalisme ? Je ne le pense pas non plus. Est-ce qu’il y a un journalisme intermédiaire, qui se situe entre les deux ? Je ne pense pas non plus.

Le journalisme c’est le journalisme depuis la nuit des temps, il est universel. Dans toutes les écoles de journalisme, on vous apprend exactement la même chose. On vous apprend les genres rédactionnels, le reportage, comment faire une enquête, comment faire un compte rendu, et même commenter. Donc partant de là, il n’y a ni ancien, ni nouveau journaliste encore moins de journalisme intermédiaire. Il y a le journaliste, point. Ce qui diffère, et là je suis d’accord, le jeune journaliste, donc celui d’aujourd’hui, dispose d’outils que les anciens n’avaient pas. Des outils ultra-modernes qui lui permettent d’être plus mobile et plus réactif. De mon point de vue, le piège se situe dans la course à la rapidité. Vous savez parfois, pour que le journaliste puisse faire un travail qui a un intérêt pour le public, il lui faut du temps pour ses recherches et pour travailler son sujet. Autrement il verse dans la divulgation d’informations qui, en tout cas, sont considérées comme des informations non abouties. Là, c’est aujourd’hui une réalité dans le monde où nous vivons. Nous ne sommes plus à l’époque de la grosse quincaillerie quand on parle de la télévision, ce n’est plus l’époque où dans la presse écrite il fallait mobiliser beaucoup d’énergies pour imprimer un journal. Aujourd’hui tout est pratiquement automatisé, digitalisé, numérisé. Cependant, il n’en demeure pas moins que le jeune journaliste doit savoir que ces outils qu’il manipule ne sont que des moyens et non une fin. La fin c’est le travail qui est exigé de vous en tant que journaliste pour bien collecter, bien traiter avant de diffuser une information.

Aujourd’hui, vous dirigez votre propre groupe de presse, après avoir été DG ? De simple reporter à patron de presse, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre parcours ?

Moi je pense que le fait d’être aujourd’hui entrepreneur c’est l’aboutissement naturel d’un parcours. J’ai eu la chance d’être très tôt responsabilisé. De journaliste reporter, je suis passé chef de desk, puis on m’a très tôt confié des responsabilités directionnelles jusqu’à être promu Directeur général d’un groupe de presse. Il faut aussi dire que le journaliste que je suis a subi une formation en management stratégique.  J’estime simplement que j’ai suivi un processus qui a abouti à l’entrepreneuriat. J’ai choisi d’entreprendre parce que j’appartiens à une génération qui a eu la chance de côtoyer de grands entrepreneurs depuis le début de sa carrière, qui nous ont inspirés et qui ont cru en nous. Je peux citer, Feu Babacar Touré, Feu Sidy Lamine Niasse, Youssou Ndour…. Et donc il est essentiel de ne pas rompre la chaîne de transmission, de connaissances et d’accompagner les jeunes. Il est aussi important d’être généreux. Dans cette aventure entrepreneuriale ou ce projet d’entreprise, je suis avec des professionnels qui ont également un beau parcours et une grande expérience. La somme de nos énergies positives, la somme de nos intelligences, la somme de notre savoir-faire ont donné lieu au groupe Emedia.

 La transition a-t-elle été facile ?

J’ai envie de répondre que je n’ai pas abandonné le journalisme. Je suis journaliste et je reste journaliste.  Il n’y a aucune interdiction, aucune contradiction entre exercer son métier de journaliste et entreprendre. Je donne souvent des références, car je trouve que c’est très important d’avoir aussi un mentor ou des mentors. Babacar Touré, par exemple, était un grand journaliste qui, avec ses camarades, a entrepris avec beaucoup de succès dans les médias. Quand on voit ce que le Groupe Sud communication est devenu, on se rend compte que c’est possible.

Aujourd’hui, il y a une question cruciale sur la viabilité des médias. Selon vous, quels sont les canaux de financements que les médias doivent utiliser pour survivre ?

Très très bonne question !  Pour moi c’est là que se trouve le nœud gordien. Et je le dis franchement, on n’a pas encore de modèle économique clair quand on parle des médias. La première chose de mon point de vue c’est que le secteur des médias n’est pas encore considéré comme un secteur d’activité économique comme les autres. Sa viabilité est fonction de l’option pertinente qui le sous-tend.  Cela interpelle en premier l’Etat. D’abord, les pouvoirs publics, de manière générale, n’ont pas encore une bonne vision de ce que doit être ce secteur des médias. L’économie des médias est en gestation dans notre pays. Ensuite, les acteurs des media eux même n’ont pas une bonne vision ou en tout cas une bonne compréhension de ce que doit être l’écosystème.  Résultats des courses, chacun fait ce qu’il peut faire dans son domaine, chacun se débrouille pour parler de manière un peu plus vulgaire. Or, quand on veut un secteur économique viable et même fiable, il faudra d’abord avoir un modèle économique. Une bonne régulation s’avère utile et nécessaire. En plus de tout, il faut également que les règles soient respectées. Prenons le cas de l’audiovisuel. Qu’elle doit être aujourd’hui la place de la chaîne publique, qui a par ailleurs, son importance ? Comment, du point de vue du financement, les choses doivent-elles être organisées pour que les chaînes privées puissent avoir un espace d’expression, d’expansion ? Je dirais un espace vital. Le code de la publicité doit être pris en compte. On se plaint également d’une inflation de journaux quotidiens. Aujourd’hui il y en a 35, mais il faut se poser les bonnes questions car il ne s’agit pas seulement de dire qu’il y a trop de journaux. Il faut se demander comment en est-on arrivé là ? Pour répondre à cette question, il faut compter le nombre de partis politiques et de syndicats que nous avons sur ces échiquiers respectifs… Je pense que ce sont ces questions-là qu’il faut se poser.

Les médias sont donc importants et ils ont joué un rôle capital de sensibilisation pendant la pandémie à covid-19 que nous avons vécue avec beaucoup de résilience, alors que nous n’avions pas encore de vaccin, ni de traitement. Nous avons réussi à faire face en partie, grâce aux médias. Qui peut mesurer l’impact de nos émissions, de nos débats, de nos articles, et de tout ce que vous pouvez imaginer, relevant du travail des médias au point de faire changer de comportement aux populations ? En résumé, il n’y a pas de pays influents sans média crédible, sans média fort. C’est ma conviction, il faut qu’on aille vers un modèle économique solide pour que l’entreprise de presse soit viable.

En tant que journaliste, vous recevez beaucoup de personnalités, quelles relations avez-vous avec elles, surtout les politiques ?

Je discute souvent avec une personnalité politique qui me dit que « vous autres journalistes et nous politiques sommes en concubinage ». Intéressant comme réflexion mais qui peut être débattue avec une thèse et une antithèse. Me reviennent aussi en mémoire ces propos de notre aîné, Mame Less Camara que j’appelle aussi maître, qui dit : « les hommes politiques il faut les rencontrer mais il ne faut pas les fréquenter ».

Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal « Le Monde » avait dit à ses journalistes : « je ne vous interdis pas d’aller dîner avec des hommes politiques, mais n’hésitez pas à cracher dans leurs soupes » C’est ce même Beuve-Méry qui dit : « ne laissons pas nos moyens de vivre compromettre notre raison de vivre ».   Pour moi, il y a une relation naturelle entre le politique et le journaliste. Le journaliste peut s’entretenir avec l’homme politique, comme il peut s’entretenir avec une personnalité religieuse, une personnalité sportive, celle du monde de la culture ou du monde de la finance. C’est normal. À mon avis, il ne faut pas diaboliser cette relation parce que c’est une relation qui a existé, qui existe et qui existera. Que chacun fasse ce qu’il a à faire, c’est le plus important.

 

Vous êtes devenu une personnalité publique bien respectée par vos confrères et par le monde politique. D’aucuns vous prêtent des ambitions politiques. Qu’en est-il ?

Alors, si aimer le Sénégal c’est faire de la politique oui j’ai des ambitions politiques. Si être attentif au souffle des populations, à ses besoins, ses désirs, ses ambitions, c’est faire de la politique, alors oui j’ai une ambition politique. Je pense avoir suivi un parcours qui m’a fait passer d’un point A pour arriver à un point B. Donc, avoir une ambition politique ne serait que l’aboutissement naturel de ce parcours. Je suis Sénégalais et rien de ce qui est sénégalais ne m’est étranger. J’ai une façon de voir les choses. J’ai une idée de comment est le Sénégal mais aussi de comment doit être le Sénégal, et je n’hésiterai pas à l’exprimer. Si c’est ça que vous appelez ambition politique, j’en ai une.

Que dites-vous à ceux qui pensent que E-Media est coloré ?

Toutes les couleurs brillent à E-Media. C’est un groupe de presse porté par des professionnels connus et reconnus. Des professionnels qui exercent leur métier avec des jeunes qui ont également appris à bonne école et qui ont été formés à exercer librement ce métier en toute responsabilité.  Comme je l’ai dit plus haut, il faut toujours associer la liberté et la responsabilité. Donc toutes les couleurs brillent dans notre groupe.

Quel est votre rêve africain ?

Je reprendrai le rêve des pères fondateurs : une Afrique unie, une Afrique intégrée, une Afrique qui pèse parce que du point de vue démographique, nous avons une population presque égale à celle de la Chine. Du point de vue de la superficie, nous sommes le continent le plus vaste, après l’Asie et l’Amérique. Mais plus vaste que la Chine et encore plus vaste que les Etats-Unis et l’Europe réunies. Nous sommes, aussi le continent le plus jeune. Je rêve d’une Afrique qui transforme ses matières premières et qui ne se contente plus que de consommer. Je rêve d’une Afrique qui ne va plus importer des produits de consommation courante.