Deux fois députée, et ancienne Ministre du Genre, de l’Enfant et de la Famille en République Démocratique du Congo, Marie-Louise Mwange incarne le leadership de la femme congolaise. Sociologue de formation elle continue à contribuer au bien-être de la femme et de l’enfant.
À 61 ans, Marie-Louise Mwange plaide toujours en faveur de la femme. Coordonnatrice du Réseau des Femmes Africaines Leaders (AWLN) dans son pays, elle accorde une grande importance au mentorat, à la sororité pour assurer une relève de qualité. Entretien…
Quels sont les plus grands actes que vous avez pu poser en tant que ministre en charge du Genre, de l’Enfant et de la Famille ?
Je n’ai pas passé beaucoup de temps à la tête de ce ministère, mais je l’ai quand même marqué en posant des actes forts en faveur de l’émancipation des femmes. Nous avons pu, par exemple, fait retirer du code de la famille l’article qui contraignait la femme à avoir l’autorisation de son mari pour ouvrir un compte bancaire. Cet acte a été pour moi une belle réalisation.
Qu’auriez-vous voulu accomplir d’autre ?
Mon plus grand souhait était de créer des cantines scolaires gratuites dans les écoles publiques pour assurer des repas corrects aux enfants. Nous savons tous qu’un enfant qui a faim n’est pas concentré, ni motivé et cela peut se répercuter sur ses résultats scolaires. Je n’ai pas pu réaliser ce rêve, mais je prie toujours pour qu’on y parvienne.
Vous êtes membre du Réseau Africain des Femmes Leaders AWLN, un des piliers de ce réseau et d’encadrer les jeunes femmes leaders. Quels conseils donnez-vous à la relève ?
Je me dis que les jeunes femmes africaines doivent se battre. « Il ne faut pas qu’elles attendent d’être invitées au buffet, il faut qu’elles l’organisent et en composent le menu. Elles doivent accéder à la table où l’on prend les décisions. Il est aussi important qu’elles adhèrent aux partis politiques pour montrer ce dont elles sont capables.
Oui, mais ne pensez-vous pas qu’il faudrait tendre la main aux jeunes pour leur permettre de franchir certaines barrières ?
Vous savez, je pense que la jeunesse d’aujourd’hui est chanceuse, car elle a grandi avec l’informatique. D’ailleurs moi je blague toujours en disant que nous sommes les « bbc » (born before computer). Nous, nous sommes nés avant le développement des technologies de l’information et de la communication. La jeune génération a toutes les possibilités, elle peut suivre et animer des conférences et des formations en ligne. Elles ont des opportunités que nous n’avions pas. Toutefois, nous avons l’expérience que les jeunes n’ont pas et nous nous devons de les accompagner. D’ailleurs, c’est une des raisons pour lesquelles nous avons mis en place le réseau AWLN (African Woman Leaders Network) afin de créer une plate-forme où les jeunes et les seniors peuvent échanger dans une optique de dialogue intergénérationnel.
Nous œuvrons pour assurer une relève de qualité, nous voulons que les jeunes femmes leaders comprennent nos motivations, qu’elles sachent ce pour quoi nous nous battons. Nous comptons travailler avec elles pour qu’elles puissent poursuivre les chantiers que nous avons entamés. Nous voulons, également, créer une chaîne de solidarité, de sororité pour outiller et renforcer nos jeunes femmes pour une Afrique inclusive et prospère.
Cette sororité dont vous parlez est-elle effective ? Pensez-vous vraiment que les femmes s’entraident ?
Je crois que ce sont les hommes qui nous ont mis dans la tête l’idée que les femmes ne sont pas solidaires. Personnellement, la plupart des femmes que j’ai rencontrées sur mon chemin m’ont aidée. Toutefois, il y a des exceptions. J’ai toujours prôné un leadership horizontal, où toutes les compétences s’équivalent, que cela soit dans le domaine des médias, de la politique de l’ingénierie etc. il faudrait que toutes les compétences avancent ensemble pour que l’on cesse de se dire « où sont les femmes ? ». La Présidente d’Ethiopie SE Sahle-Work Zewde, nous a dit une fois : « si vous êtes devant, assurez-vous que vos épaules vous servent d’escaliers pour que les autres montent et puissent voir ce qu’il y’a plus loin, plutôt que de leur obstruer la vue ».
Selon vous, comment les femmes devraient s’y prendre pour s’imposer en politique ?
Avec beaucoup de passion et de détermination. Les femmes doivent prendre plus de risques. Quand on veut quelque chose on se donne les moyens, puis on va la prendre ! Par exemple, une femme qui a été candidate aux législatives et échoue se calfeutre et se renferme sur elle-même au lieu de se remettre sur la scène pour les prochaines joutes électorales. Les élections locales sont plus favorables aux femmes car ce sont des élections basées sur la proximité. Les femmes sont plus empathiques, plus proches des voisins et de leurs communautés que les hommes. Les femmes ont un leadership inné. Elles sont dotées de prédispositions qui leur confèrent des avantages et une longueur d’avance. Il faut qu’elles en soient conscientes et l’utilisent pour se faire élire facilement dans leurs localités.
Comment percevez-vous la notion de masculinité positive ?
La masculinité positive pour moi, c’est le féminin qui est parlé par les hommes, le féminin conjugué par les hommes. Il faudrait donc inculquer aux jeunes garçons dès le bas âge comment vivre avec leurs sœurs, car parfois c’est nous qui fixons des limites à nos filles et ça les suit tout au long de leur vie. Il faut distribuer les tâches équitablement, la vaisselle, la cuisine… Par exemple moi j’ai 4 enfants, 2 garçons et 2 filles, et tous savent cuisiner, tous.
Durant votre carrière n’avez-vous pas eu de problèmes de marginalisation par des hommes ?
Non, moi je sais que ma première force c’est ma famille. Ma famille a toujours cru en moi, aussi bien les femmes que les hommes, tout le monde m’a beaucoup aidée. Je me dis que nous devons « nous battre avec les mêmes armes » car les femmes sont toujours jugées doublement par rapport aux hommes. L’incompétence féminine est toujours remarquée plus vite et jugée plus sévèrement que celle masculine. Alors partout où je suis passée, je me suis battue. Dès l’école, j’ai étudié avec des hommes qui témoignent aujourd’hui en disant que je leur faisais peur à l’école car j’étais parmi les deux premières de la classe !
Selon vous, quelles sont les clés de la réussite ?
- La détermination.
- La méritocratie. Il ne faudra pas attendre que l’on nous fasse de la place, cette place il faut se la créer soi-même.
- Les opportunités, le facteur chance. Il faut aller là où nos talents et capacités nous mènent. Si tu sais que tu es un bon négociateur, va vers la diplomatie et non vers l’agriculture.
- L’honnêteté et la loyauté aussi. Il faut travailler dans la vérité. Il faut dire les choses. Parfois on me dit que je suis trop sèche etc… Mais moi je préfère dire la vérité.
- Éviter la complaisance. Surtout ne jamais quémander la promotion, ne pas essayer de faire du chef de parti un ami pour espérer une promotion. On ne réussit jamais avec ça dans la vie.
Mon rêve africain, c’est qu’un jour, sur les plus de 50 états africains, que l’on se retrouve avec 25 femmes chef d’Etat. Ainsi je crois que l’on changerait le monde. C’est ça mon rêve !
Khadija Tall