Kani Cissoko Photographe Malienne, une voix pour les femmes

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Autodidacte, la photographe malienne Kani Sissoko est une artiste de talent. Inspirée par la condition de sa mère, elle fait de la photographie un outil d’expression de liberté. Son audace à dire l’indicible à travers l’image et sa soif de liberté lui valent le statut d’une artiste engagée pour la cause de la femme. Portrait !

La condition féminine, les sciences occultes et l’environnement sont entre autres les thématiques sur lesquelles Kani Sissoko, la trentaine, fixe l’objectif de son appareil photo. A chacune de ses expositions, les œuvres de la photographe autodidacte malienne choquent par leur audace à aborder des sujets considérés comme tabou, en rapport notamment au mariage et aux traditions, dans une société malienne conservatrice.*

Cette démarche la propulse très vite au-devant de la scène et lui ouvre de nombreuses portes. Ainsi, elle participe à des expositions au Mali et à l’international notamment au Maroc, au Nigeria, en Côte d’Ivoire et en France avec à la clé de nombreux prix remportés comme celui de la Fondation Blachère (France) en 2017 et le premier prix de l’Inter- biennale du Mali en 2019.  

Pourtant, rien ne prédestinait cette native de Bamako à une carrière d’artiste. « A l’époque, je voulais juste être libre, je voulais faire du commerce » ; poursuit-elle. « Ma mère n’a pas accepté… Elle m’a dit « tu décideras quand tu seras majeure ». Encouragée par cette dernière à poursuivre ses études, elle intègre l’Institut National des Arts de Bamako (INA) après l’obtention de son Diplôme d’Etudes Fondamentales (DEF) en 2006.

Trouver sa voie et sa voix

En 2009, alors que la capitale malienne accueillait la 8e édition de la Biennale africaine de la photographie, Kani Sissoko arrive au Musée national du Mali qui abrite ce grand rendez-vous de l’image pour un stage. C’est la rencontre inopinée avec l’art de la photographie. « Je connaissais la photographie de cérémonie de mariage, mais je ne savais pas qu’on pouvait se servir de la photographie pour s’exprimer sur des sujets qui sont souvent tabou dans notre société », nous confie-t-elle.  

Cependant, son choix d’en faire sa profession est mal vu dans une société malienne où la photographie est considérée comme un métier d’homme. Sa famille, notamment sa mère s’y oppose. « Elle disait que je ne pourrais pas mener une carrière de photographe et être une bonne femme au foyer. Elle a été choquée et elle m’a envoyée chez sa sœur à Kati (ville périphérique de Bamako, NDLR), dans l’espoir que celle-ci me convainc à abandonner mon rêve… ». Même des réunions de famille n’ont pas découragé Kani à embrasser cet art dans lequel elle a trouvé sa voie pour faire entendre sa voix. 

Ainsi, Kani décide de se former à la prise de vue et à la photographie d’art auprès des photographes de renom comme feu Alioune Bah et Seydou Camara de Yamarou photo (collectif de photographes maliens dont elle est membre). Il a fallu attendre 2015 pour voir sa toute première série intitulée « Racine » qui met en scène des pratiques de sciences occultes comme la géomancie, les jets de cauris, les immolations, les bains mystiques, les rituels et incantations.

A travers cette série de photos, l’artiste invite à un retour à nos traditions dont certaines sont considérées comme des pratiques animistes dans nos sociétés modernes dominées par des religions dites révélées. Suivront d’autres séries de photographies sur l’environnement « Décharge, 2017 » qui dévoile le visage insalubre de la capitale malienne et l’amour « Folie nocturne, 2017).

Une photographe engagée Ces dernières œuvres sur la condition féminine, ont marqué davantage les esprits. Il s’agit notamment des séries, «Worotan» (Les 10 colas, 2019) et « Quand les murs parlent » (2020) qui traitent du mariage qui selon Kani prive la femme de sa liberté et la réduit à la soumission dans nos sociétés . «

C’est la situation de ma mère qui m’a inspirée et m’a poussée à réaliser ce travail sur la condition des femmes. Les obligations du mariage l’ont privée de sa liberté. Je la vois comme une prisonnière. »

Quand des « féministes » disent qu’il faut se battre pour l’autonomisation et l’épanouissement de la femme, Kani s’attaque plutôt à l’éducation qui selon elle est la base de la condition féminine dans nos sociétés actuelles où dès l’enfance on inculque à la jeune fille que toute sa vie se résume à son foyer. « Le mariage fait partie de la vie de la femme mais il ne doit pas être un obstacle à son épanouissement, une sorte de prison pour elle. Il faut apprendre à la fille à être libre », lance-t-elle.

Kani Sissoko est une photographe engagée qui se fixe comme mission de déclencher son appareil sur la condition de la femme mais aussi sur les tares qui gangrènent notre société. Actuellement, l’artiste travaille avec d’autres photographes sur les pensionnaires de Bollé, l’unique prison pour femmes au Mali. Kani envisage également d’éditer un livre contenant l’ensemble de ces œuvres photographiques afin de rendre son travail et son combat accessibles à un large public local et international pour un changement de mentalités.

              Youssouf Koné