DENISE FATOUMATA NDOUR – Expert en Finance sociale « L’humain au centre des activités de l’économie sociale et solidaire ».

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Administrateur général de la fondation Sen’Finances, Denise Fatoumata Ndour est l’une des pionnières de l’économie sociale solidaire (ESS) au Sénégal. Depuis septembre 2022, elle préside le Conseil d’Administration de l’Association Internationale des Investisseurs en Economie Sociale (INAISE). Active dans l’organisation du Forum mondial de l’économie sociale prévu du 1er au 6 mai prochain à Dakar, la diplômée en mathématiques appliquées et économétrie diagnostique l’environnement de l’ESS dans notre pays. Elle revient aussi sur le contexte mondial favorable à la percée du modèle économique centré sur l’humain. 

 

Vous évoluez dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, qu’est-ce que l’ESS ?

L’économie sociale et solidaire est un ensemble d’activités et de pratiques économiques qui n’ont pas pour finalité première la recherche de profits. Dans cette économie, les aspects sociaux et environnementaux sont mis en avant. Son mode d’organisation est basé sur des valeurs telles que la solidarité, l’équité, le partage, l’utilité sociale. Parmi les entreprises sociales et solidaires on retrouve les associations, les coopératives, les mutuelles, les fondations et les entreprises dites entreprises sociales.  On peut dire que l’humain est au centre des activités de l’économie sociale et solidaire. Il est l’essence même de ce secteur, d’où sa différence avec le système capitaliste basé sur la recherche de profit. 

 

Aviez- vous pressenti que l’économie sociale et solidaire aurait la cote, lorsque vous aviez choisi de travailler dans ce secteur ?  

Quand j’ai démarré avec le Fonds de Contrepartie Sénégalo-Suisse (FCSS), en 1994-1995, je ne savais pas que j’étais dans l’économie sociale et solidaire. Même quand on a transformé ce fonds en fondation, on ne parlait pas encore d’économie sociale et solidaire comme aujourd’hui. On était dedans sans vraiment le savoir. Aujourd’hui, au niveau international, on se rend compte que ce type d’économie est beaucoup plus adapté à nos réalités, eu égard aux différentes crises vécues. 

 

Comment est née la fondation Sen’Finances que vous dirigez ?

Sen’ Finances est née d’un projet qui s’appelait Fonds de Contrepartie Sénégalo-Suisse (FCSS). Il s’agissait d’un projet innovant en termes de transformation de dettes. Les Suisses avaient décidé d’annuler une partie de la dette de leurs créanciers en faisant recours au désendettement créatif. Au total, 12 pays ont été sélectionnés pour bénéficier de l’annulation d’une partie de leur dette. La partie restante devant servir à financer des projets de développement dans les pays respectifs. Pour le Sénégal, on a annulé 80% du montant de la dette extérieure vis-à-vis de la Suisse. Les 20% restants ont été versés dans un compte servant à financer des projets au niveau local. Et c’est ce compte qui constituait le Fonds de Contrepartie Sénégalo-Suisse (FCSS). 

La deuxième particularité du FCSS résidait dans son mode degestion. Le fonds est géré de manière participative c’est-à-dire avec des représentants des secteurs privé, public et parapublic tels que la Chambre de Commerce, l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois), les Groupements Economiques du Sénégal (GES), le Conseil des Organisations Non Gouvernementales d’Appui au Développement (Congad), l‘Agence d’Exécution des Travaux d’Intérêt public (Agetip), le Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR). Dans les projets financés, la priorité était donnée au secteur primaire. 

Au bout de quelques années de fonctionnement, nous avons décidé de faire du fonds une sorte de grossiste qui travaillerait avec les institutions de microfinance pour atteindre toujours sa même cible c’est-à-dire les exclus du système financier classique. Ainsi, le fonds s’est spécialisé dans le refinancement des institutions de microfinance. 

Après dix ans d’existence, nous avons voulu pérenniser la structure. Il nous a donc fallu revoir le cadre juridique pour capter des fonds publics mais aussi privés, ce qui a permis de transformer ce fonds en fondation d’utilité publique. La fondation est née en 2007 avec comme dotation initiale, ce qui restait du fonds de contrepartie et les contributions d’institutions publiques et privées… Ces dernières sont les membres fondateurs de Sen’Finances. La Fondation continue d’appuyer les institutions de microfinance et leurs bénéficiaires. Elle mène aussi d’autres activités d’encadrement, d’accompagnement, de recherche. Nous sommes impliqués dans tout ce qui concerne la microfinance et l’économie sociale solidaire au Sénégal et à l’international. 

Quel bilan en tirez-vous ?

Le positif, c’est l’impact auprès de la population. Avec une enveloppe initiale de 1,5 milliards de FCFA, nous avons financé pour plus de 4 milliards des institutions de micro-crédits qui elles-mêmes ont refinancé leurs membres et leurs bénéficiaires. Plus de 100.000 personnes ont été touchées avec ces financements. Toutefois, j’estime que ce bilan est mitigé. Compte-tenu de notre expérience et de notre expertise dans le secteur du financement, nous aurions pu aller au-delà de nos réalisations, aussi bien en termes de volume, qu’en termes de qualité de l’accompagnement. Mais nous sommes confrontés à des difficultés de mobilisation de ressources. Et il y a aussi que nos actions ne sont pas suffisamment vulgarisées auprès de l’Etat et des partenaires nationaux comme internationaux.

Vous êtes à Inaise qui est une association et à Sen’Financesqui est une fondation Quelle est la différence entre une fondation et une association ?

Une fondation est un regroupement de biens pour une utilité sociale publique, où on met en commun des ressources pour atteindre un objectif social d’utilité publique. Tandis qu’une association est un ensemble de personnes regroupées autour d’un projet commun, n’oeuvrant pas forcément pour une cause relevant de l’intérêt général. 

Comment êtes-vous arrivée à la tête dINAISE ?

INAISE est l’Association internationale des investisseurs en économie sociale. Elle regroupe des structures mues par la volonté d’investir dans le secteur de l’ESS. Elle a été créée en Europe, en 1989, par des banques éthiques françaises qui ciblaient des projets à fort impact social et environnemental. Aujourd’hui, INAISE compte une quarantaine de structures de diverses tailles, de diverses approches et qui sont réparties dans tous les continents. Elle regroupe des réseaux de microfinance, de fonds d’investissement européen ou nord-américain, des institutions de finance sociale, etc.

En 2013, Sen’Finances avait été cooptée par un partenaire pour intégrer INAISE. Après deux ans de présence dans le réseau, j’ai intégré le Conseil d’administration. Et lors de la dernière assemblée générale, en septembre 2022, j’ai été portée à la tête du Conseil d’administration. 

L’ESS est-elle la solution magique pour faire face aux défis d’autonomisation financière ?

Je pense qu’il n’y a pas de formule magique mais les crises que nous avons traversées prouvent qu’il est important de placer l’humain au centre de toute activité économique. En effet, le modèle de l’économie sociale et solidaire basé sur des valeurs de partage, de mutualisation, de solidarité et d’accompagnement serait plus à même de réduire les inégalités socio-économiques que le modèle de l’économie capitaliste. 

En tant que membre du Comité consultatif GSEF, que gagnera le Sénégal avec le prochain forum qu’il va abriter ?

C’est une opportunité extraordinaire parce qu’au niveau mondial l’économie sociale et solidaire a le vent en poupe. Le Forum mondial de l’économie sociale ou en anglais GSEF (Global Social Economy Forum) est une énorme organisation mondiale qui regroupe des structures et collectivités territoriales de tous les continents. Ce sera le premier forum sur l’ESS organisé en Afrique francophone, donc cela traduit une reconnaissance du Sénégal comme acteur clé de l’économie sociale et solidaire. Nous attendons environ 3.000 participants, sur le plan économique, c’est une opportunité majeure. Ce forum sera une vitrine pour nos artisans, nos femmes transformatrices, nos start ups. Tout notre système économique devrait être mis en valeur durant ce forum. 

Quelles sont les perspectives de l’ESS ici au Sénégal ?

L’économie sociale et solidaire a un bel avenir dans notre pays. Il y a des avancées notoires avec la création d’un Ministère dédié et l’adoption de la loi d’orientation sur l’économie sociale et solidaire. Un cadre légal et réglementaire est en train d’être mis en place. Nous avons beaucoup de structures qui réfléchissent sur les plans théorique et pratique ainsi que sur les questions liées à l’économie sociale et solidaire. Le Sénégal a été actif sur le portage de la résolution votée aux Nations Unies. 

Quels messages lancez-vous aux jeunes entrepreneurs particulièrement ceux qui sont dans l’ESS ?

Il faut d’abord une prise de conscience parce que parfois, on peut être dans l’économie sociale et solidaire sans le savoir. Ensuite, il faut aller vers l’information parce qu’il y a beaucoup d’opportunités qui sont là et qui sont méconnues. Les structures ont le devoir de vulgariser leurs offres. Mais les jeunes peuvent s’organiser pour aller vers l’information et savoir ce qui leur est proposé comme type d’accompagnement. Beaucoup d’efforts doivent être faits sur le plan de la mutualisation. En unissant nos efforts, nous trouvons plus facilement des partenaires techniques et financiers. 

Quel est votre rêve africain ?

J’ai plutôt un rêve universel. Je rêve d’un monde où il y aura peu d’inégalités. Par exemple, si les innombrables ressources de l’Afrique étaient bien réparties, il n’y aurait pas sur notre continent des gens qui meurent de faim, des personnes qui n’ont ni accès à l’eau, ni à l’électricité, etc. Nous vivrions dans un monde plus harmonieux si on parvenait à réduire les inégalités socio-économiques. 

  ​​​​​​​​​                      Mame G-Onass Mendy